Élèves handicapés en milieu "ordinaire" : le difficile apprentissage de la tolérance

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J’aurais aimé (bien) réagir, tout à l’heure.

Dernière heure avant les vacances. Les élèves de 5è avaient rapporté les affiches que je leur avais demandées. Les critères de notation étaient clairs : repère du brevet correctement écrit + illustration pertinente = 7/10 (oui, c’était un travail fait pour les valoriser). Pour monter au-delà de 7, il fallait que ce soit particulièrement joli, propre, bien illustré, etc. Nous choisissions les notes ensemble, en discutant des différents mérites de chaque affiche, l’une après l’autre. Puis est venue celle de S. L., élève d’ULIS, handicapée. B. et S. s’en sont moqués ; j’ai simplement fait les gros yeux, leur ai demandé de se taire, et ai poursuivi le cours. Ce soir, j’aimerais leur en dire tellement plus.

B. et S.,

J’aimerais revenir sur vos commentaires de tout à l’heure au sujet de l’affiche de S. L. Oui, par rapport aux vôtres, elle était effectivement moins “jolie”, moins “complète”, je l’admets.

Mais il faut que vous compreniez que S. L. est handicapée. Ce n’est pas un gros mot, ce n’est pas une insulte, c’est juste la réalité. Elle est dysgraphique, donc a de grosses difficultés sur la motricité fine : tous ces gestes que vous faites sans même y penser, écrire, jouer de la flûte, dessiner, découper une feuille, tout cela peut vous sembler évident (et tant mieux), mais c’est extrêmement difficile pour elle. Elle a un QI autour de 60, ce qui l’empêche de comprendre correctement les cours, ou encore de bien les mémoriser (elle n’a jamais compris que les “seigneurs" médiévaux n’étaient pas des “dieux”). À cela s'ajoutent d'autres difficultés physiques et familiales…

Alors vous, vous réfléchissez bien, vite, vous pouvez faire de belles affiches parce que vous comprenez ce que j’attends lorsque je vous donne la consigne, et parce que vous savez comment parvenir à un résultat satisfaisant. S. L. ne le peut pas, même si elle y met toute la bonne volonté du monde.

Et à cause de ça, je ne la note pas comme vous. Dans ses évaluations, ou pour son affiche. Si je la notais comme vous, elle aurait 3 de moyenne, même en essayant de son mieux, et ce serait injuste (parce que vous, si vous faites de votre mieux, vous pouvez avoir au moins 14 de moyenne, si ce n’est plus).

Donc quand j’entends S., hilare, répéter à voix haute “B. suggère un 3”, ça me déçoit, et ça me fait mal pour elle. Ça me déçoit, parce que je crois (j’espère) que vous valez mieux que ça. Vous devriez lui proposer votre aide, ou, au moins, ne pas vous moquer d’elle. Vous croyez que c’est la première ou la dernière moquerie qu’elle entendra ? Non, elle en entend probablement très souvent, dans beaucoup de situations différentes. Elle n’a pas besoin que vous en rajoutiez. Elle a gardé son éternel sourire, tout à l’heure, mais elle n’est pas sourde : si je vous ai entendus, elle vous a entendus. Mais je pense qu'elle est simplement habituée, et c’est sans doute le pire.

En ce qui me concerne, je préfère largement une S. L., qui a 60 de QI, ne pourra jamais écrire mieux qu’une enfant de maternelle, mais est toujours souriante, toujours volontaire, toujours la première à proposer de ranger les livres ou d’effacer le tableau. Je préfère largement une S. L. adorable à deux sales gosses qui ont des capacités bien plus grandes, tant physiques que mentales, et les gâchent à se moquer des autres.

Grandissez.

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